❞Dans la culture digitale, on accepte l'erreur dans une démarche d'apprentissage ❞
Bonjour Sophie, en quelques mots, peux-tu nous parler de ton parcours ?
J'ai commencé à travailler dans le digital dans les années 2000, avec une première phase de création d'entreprises, donc plutôt dans des boîtes très petites. Et puis après, dans des rôles de directeur marketing chez Cofinoga, puis chez ING Direct, dont j'ai ensuite pris la direction générale avant de rejoindre le groupe BNP Paribas en tant que Chief Operating Officer du pôle CPBS qui regroupe les activités Retail.
Qu'est-ce que tu retiens de ces années 100% digitales ?
Beaucoup de choses mais en particulier la conviction qu'une entreprise digitale développe une culture très spécifique qui touche plusieurs aspects :
- une forte orientation client.
La relation n'étant plus intermédiée par un humain, la proposition de valeur, les produits, la communication doivent être immédiatement compréhensibles et répondre aux attentes des clients.
Dans l’univers digital, il n’y a pas de seconde chance, pas de rattrapage possible !
- une culture de travail qui privilégie le test & learn, le travail itératif.
Dans cette culture, on ne prétend pas tout savoir d'emblée. On se base sur des intuitions bien sûr mais surtout sur des observations/données clients. Puis on teste rapidement, on apprend, on ajuste et, surtout, on accepte de se tromper.
Ce rapport à l’erreur est fondamental et constitue une partie très importante de cette culture. Dans la culture digitale, on accepte l’erreur dans une démarche d'apprentissage.
- le travail collaboratif.
Dans une entreprise digitale, toutes les équipes – notamment le marketing et l'IT – collaborent de manière très étroite. Cela commence à se généraliser aussi dans les entreprises plus grandes mais l’intérêt pour les aspects IT et data chez les marketeurs, et l'intérêt des équipes IT pour le client restent bien plus marqués dans une entreprise digitale.
- une culture de la frugalité liée aux marges réduites.
Nombreux sont les business digitaux, comme les banques digitales, qui ont des marges très réduites. Cela impose une forte attention aux coûts et à l'efficacité opérationnelle. Cette approche renforce encore plus le besoin de mesure, d’itération et de culture data pour comprendre où sont les coûts et comment améliorer les processus bout en bout.
Ces quatre aspects caractérisent la culture digitale et représentent des enjeux de transformation pour les entreprises plus traditionnelles.
" Dans la culture digitale, on veut que tout le monde agisse en leader au sens
d’acteur du changement
Et sur les plans du management et du leadership, en quoi ces entreprises digitales sont-elles innovantes ?
Pour moi, dans toutes les entreprises de la Tech, l’aspect plus innovant et différenciant réside dans leur type de management et leur mode de fonctionnement.
Quand tu regardes les cultures de Amazon, de Google, mais aussi celle de ING Direct, … il est frappant d’observer le soin apporté à la culture et au management.
Les principes/règles qui guident la manière de travailler et les prises de décision sont explicites, peu nombreuses et communes pour tous quel que soit le niveau hiérarchique. En particulier on attend de chacun qu’il démontre du leadership au quotidien, qu’il comprenne la stratégie et les enjeux principaux et soit force de proposition quel que soit son niveau.
Pour prendre leurs décisions, ces entreprises digitales se reposent sur une forte culture de la mesure. Lorsque plusieurs personnes regardent les mêmes données ou les mêmes observations, il est plus facile de se mettre d’accord sur ce qui est à faire et de prendre rapidement des décisions.
Quand il s’agit d’améliorer l’expérience client ou collaborateur en particulier, les équipes proches du terrain, munies des bonnes données sont les mieux placées pour réaliser les optimisations nécessaires.
C’est clairement la voie que nous suivons et nous nous inspirons en continu de ces organisations digitales pour nous guider dans notre propre transformation.
"Pour moi, la transformation de l’expérience client
est une des plus fédératrices
& porteuse de sens"
Ton rôle au sein de la BNP en tant que COO était donc de mettre en œuvre cette transformation digitale avec un très fort focus client ?
Juste pour démarrer, un petit aparté sur la transformation digitale. Je n'aime pas trop utiliser ce terme ni celui de stratégie digitale.
Pour moi, il y a une stratégie d’entreprise et ensuite, il y a des leviers digitaux qui permettent de mettre en œuvre cette stratégie.
Ce qui va faire qu'une transformation est réussie, c'est d’abord qu'on a des objectifs qui sont hyper clairs, partagés et connus de tous. On sait pourquoi on le fait, et on sait sur quoi va porter la transformation et à quoi on va mesurer le succès. S’agit-il de repenser l’offre produits et services ? de fluidifier des parcours clients ? Est-ce que cela concerne la relation client ? L’expérience des collaborateurs ? d’apporter des solutions pour réduire l’impact carbone ? et pour y arriver que devons-nous faire en termes de façons de travailler, de technologie, etc.
Avant de parler digital, le premier objectif est donc de valider l’objectif : que cherche t-on à atteindre et donc que faut-il transformer, pour atteindre quels résultats in fine ? augmenter la part de marché, réduire les coûts, augmenter l’engagement des clients, des collaborateurs etc…
Pour BNP Paribas, les clients viennent de moins en moins en agence et sont de plus en plus digitaux, un fort enjeu est donc de repenser la relation client au sens large pour l’adapter aux attentes des clients, des collaborateurs tout en améliorant l’équation économique
Quand tu arrives, les enjeux sont donc assez clairs ?
Oui, quand j'arrive chez BNP Paribas, nous sommes en 2016. C'est le plein boum des fintechs, il y a une effervescence. Et il y a des questions comme "est-ce que les fintechs, les digitechs vont remplacer les banques " ?
Les clients ont tous un téléphone mobile, ils n’ont pas besoin de toucher les produits bancaires pour les acheter. Ils viennent de moins en moins en agence.
Par conséquent, la banque doit s'adapter !
J’arrive dans une entreprise qui veut vraiment se transformer.
Un plan "transformation digitale " a été écrit avant que j'arrive. Il porte sur la digitalisation des parcours clients, la refonte des offres, la distribution…
" Ma mission avec mon équipe d’experts est d'accélérer la transformation des business models
en utilisant le levier de la digitalisation. "
Quel est ton rôle pour accompagner la BNP Paribas dans cette transformation?
Je travaille dans le pôle CPBS, qui porte environ la moitié des résultats du groupe, et qui regroupe les banques en France et à l’international et les services spécialisés (leasing, financement spécialisé, et crédit à la consommation).
Ma mission avec mon équipe d’experts est d'accélérer la transformation des business models pour s’assurer qu’ils continuent de répondre aux attentes changeantes des clients, des collaborateurs, du régulateur et de la société en utilisant le levier de la technologie au sens large
Quand je suis arrivé ma problématique était double :
- identifier les besoins des entités opérationnelles/métiers, et ce qu’elles pourraient faire différemment
- comprendre comment moi, en tant que fonction centrale, je pourrais me positionner pour les aider
En tant que COO, je siège au comité de direction à côté des patrons des métiers.
Et ça, c'est très important pour pouvoir véritablement opérer cette transformation.
"ton objectif n'est pas de démontrer
ta compétence, il est de te faire accepter ! "
Quelles ont été tes premières décisions pour établir ton diagnostic et établir un plan d’actions ?
- me faire coacher : consciente du choc culturel potentiel, venant d’une entreprise digitale. L'objectif était de rester fidèle à ma culture digitale tout en ne me faisant pas rejeter par l'organisation.
C'est vraiment l’une des premières choses que j'ai mises sur mon agenda, avant même de prendre mon poste. J’ai notamment travaillé ma façon de me présenter. Le premier conseil de ma coach, qui était assez évident, mais dont je n'avais pas conscience, a été de me dire : ton objectif n'est pas de démontrer ta compétence, il est de te faire accepter !
J’ai eu l’image d’une mangue : bien verte à l'extérieur (la couleur de BNP Paribas) tout en restant orange à l’intérieur, c’est-à-dire en préservant ma différence, ma culture entrepreneuriale et digitale.
Je suis certaine que sans ce coaching, je serais allée trop vite. Étant très orientée résultats, j'aurais essayé d'agir vite ; je n'aurais pas pris autant le temps d'écouter et de comprendre le point de vue des différentes personnes. Parce que la transformation, c'est d’accompagner quelqu'un pour aller d’un point A à un point B. Donc, si tu ne sais pas quel est son point A, ce qui le retient à A et ce dont il aurait besoin pour aller vers B, tu risques fort de faire des erreurs et d’obtenir le contraire de ce que tu cherches.
- m’imprégner de la culture de l'organisation
Je vais prendre plusieurs semaines pour rencontrer des centaines de personnes à tous les échelons de l’entreprise pour comprendre ce qui m’apparait le plus important : comment décryptent-ils la stratégie de l’entreprise. Est-ce qu’elle est claire pour eux ? Y adhèrent-ils ? comment sont prises les décisions structurantes ? Comment sont priorisés les investissements par ex ? quels sont les indicateurs que suivent les différentes équipes ? comment priorisent-ils leur travail au jour le jour ? ) Que pensent-ils que leur manager attend principalement d’eux ? …
Je leur demande de me décrire leur journée type, comment ils travaillent, leurs sources de satisfaction, leurs sources d'insatisfaction. Je jauge aussi quand même un peu le niveau d'expertise dans tout ce qui est data, digital, orientation client, etc.
Et donc, cette étape est cruciale, il s’agit de prendre conscience le mieux possible de la réalité de l'entreprise dans laquelle tu arrives !
- faire un diagnostic de mon équipe :
Et en parallèle, je vais faire un peu la même chose avec mon équipe et en particulier identifier la nature et le niveau de leurs expertises. Je mène donc le même diagnostic en étant plus précise sur les expertises digitales.
Cette période d’imprégnation a pris deux mois et a été primordiale pour mieux comprendre les différentes cultures du groupe, les points de vue des équipes et ne pas aller trop vite ! Je pense que c’est une très bonne pratique du groupe que de prévoir cet onboarding pour les dirigeants qui viennent de l’extérieur. Je conseille fortement à quiconque prend un rôle de transformation dans une nouvelle entreprise de demander cet onboarding.
" De plus, l’obsession de la culture client,
si forte dans la culture digitale,
était quand même assez faible
dans l'organisation "
Après ce diagnostic, quelles ont été tes premières conclusions ?
J’ai eu rapidement l’idée qu’il manquait un thème fédérateur. De nombreux projets de transformation digitale existaient, mais ils manquaient parfois de sens pour les équipes : parfois ils avaient du mal à expliquer quel était l’objectif de leur initiative, comment on allait en mesurer le succès…
De plus, la culture client, si forte dans la culture digitale, était quand même assez faible dans l'organisation. Les équipes ne me parlaient pas spontanément du client. Quand je leur disais " mais pourquoi vous faites ça ? ", ils ne me disaient pas " parce que le client est insatisfait par ça ". Le client était assez peu présent dans les conversations. Donc, je me suis dit, c'est vraiment un fil qu'il va être intéressant et important de tirer.