BNP Paribas, épisode 2 : la culture client au coeur de la transformation digitale

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❞ mon objectif est qu’ils voient cette entité centrale comme une ressource



Quelles ont alors été tes premières actions ?

Je prends rapidement quelques décisions marquantes à commencer par le changement de nom de mon équipe rebaptisée PACE : Partners in Action for Customer Experience.

Mettre " Customer Expérience " dans le nom de mon équipe me permets à chaque fois que je rencontre quelqu'un de nouveau dans l'organisation de partager ma définition de l'expérience client.

C’est important parce que la conception commune de l'expérience client est alors essentiellement l'expérience en agence, parfois étendue au téléphone et au digital et donc la responsabilité des front lines. Je commence à partager une définition plus large : l’expérience client est l'ensemble des émotions que ressent le client quand il interagit
avec nous : les points de vente et les apps digitales bien entendu mais aussi les produits, les parcours, la communication… bref l’ensemble des interactions du client avec la banque et par conséquent c’est l’affaire de tous et pas que des Front Lines.

Donc ça m'a permis de tirer ce fil.

Et puis, l'autre chose importante dans le nom est le " Partners in Action "

Je suis convaincue que je dois changer l’image de cette équipe centrale qui est perçue par les entités surtout comme un organe de contrôle au service de la DG et qui apporte peu de soutien opérationnel aux équipes des entités. J’arrive moi-même d’une filiale d’un autre groupe international et j’ai la certitude qu’une équipe centrale peut être un vrai booster de transformation, à condition d’avoir les bonnes compétences
et surtout le bon mindset.

J’observe aussi que les équipes des entités manquent d’expertise sur les sujets liés au digital, à l’expérience client, la data ; elles ont un grand nombre de projets à réaliser et ne savent pas forcément comment s’y prendre et donc font largement appels à des consultants.

Dès lors, mon objectif est qu’ils voient cette entité centrale comme une ressource
qui va les aider !

Pour le faire, j’ai défini trois priorités qui concernaient tous les métiers et toutes les banques :

- développer une culture centrée client en commençant par mesurer la voix du client

- définir des objectifs pour les initiatives de transformation et des indicateurs pertinents pour en mesurer le succès

- promouvoir de nouvelles façons de travailler car j’observe beaucoup de travail en silos et en surtout un fossé entre le business qui définit des specs d'un côté et l’IT de l'autre à qui on demande d’exécuter.


❞ on a été le premier vecteur de transformation en donnant à voir une nouvelle façon de travailler ❞



Mais cette obsession client, cette nouvelle façon de travailler, comment es-tu arrivée à la faire accepter et à la mettre en place ?

Ma conviction hyper forte, c'est que tu dois d’abord donner l’exemple !

Je me suis efforcée de modéliser une nouvelle façon de travailler en répondant à la question suivante : comment mon équipe et moi pouvons-nous l’incarner très concrètement et la faire expérimenter à nos interlocuteurs ?


C'est-à-dire, comment toi-même, tu incarnes le changement que tu souhaites voir chez l’autre, comment tu te comportes au jour le jour.

En fait, la culture, ce n'est pas fumeux, c'est très concret !

Qu'est-ce qui transparaît de ta façon de faire ? Quelles sont les questions que tu te poses ? Sur quels critères et comment prends-tu tes décisions ? En tant que leader nous avons une immense responsabilité car les équipes nous regardent et se font une idée à partir de là de ce qui est important, acceptable ou inacceptable.

Nos actes quotidiens ont beaucoup plus d’impact que nos paroles.

Pour revenir au sujet de l’orientation client, tu donnes ainsi une nouvelle façon de voir pour que les gens se disent, ah oui, être orienté client, cela veut dire cela en fait !

Avec mon équipe nous sommes donc un vecteur de transformation en donnant à voir une nouvelle façon de travailler comme démarrer chaque réflexion ou réunion sur un sujet par une description précise du problème à résoudre, en particulier pour les clients et en l’absence de ces données, différer la discussion sur les solutions en attendant de les avoir

Concernant la posture de l’équipe, je m’efforce d’éviter la position haute et de privilégier l’écoute, le soutien des équipes, les miennes comme celles des entités opérationnelles.  


❞ le premier travail a été de réaliser et faire accepter un diagnostic

chiffré et incontestable ! ❞


Mais en dehors de ce "lead par l’exemple", tu dois avoir
le bon niveau de rattachement pour imprimer une telle transformation ?

Oui, tout à fait.

Pendant les premières années je passe beaucoup de temps avec mon patron pour créer une alliance très forte. Un temps nécessaire pour partager ce que j’observe, mes analyses de la situation et des difficultés, mais surtout pour proposer des solutions, expliquer pourquoi et comment je comptais m'y prendre de manière qu'il puisse adhérer à mon diagnostic et mes solutions, pour avoir aussi ses conseils.

Autre élément important, je fais partie du comité de direction présidé par mon patron et auquel participent les patrons des entités, les sujets de transformation y sont donc traités dans la même instance que les points financiers ou les points règlementaires.  C’est un forum qui permet d’échanger sur les sujets de transformation, et de bâtir progressivement des convictions partagées.  Au début, les premières années, j'ai eu énormément de place. À chaque comité de direction, j'avais un créneau ; on a un comité par mois, j'avais au moins une heure et demie de parole où je partageais des constats, etc.

Et surtout, on parlait du diagnostic parce qu'en fait, quand tu veux faire une transformation, tu as besoin de partager un diagnostic.

Pour nous BNP Paribas, le diagnostic c’était : on a besoin de se transformer parce que nos clients évoluent, ils sont de plus en plus digitaux et nous ne répondons pas à certaines de leurs attentes. Le challenge au début a été de faire accepter le fait que nous n'étions pas excellents en expérience client.

Au départ, dans mes interviews, les équipes disaient " oui, on est très bon en expérience client ". Or, on n'était pas toujours bon et surtout cette appréciation ne reposait pas toujours sur une mesure fiable de la perception des clients.

Nous avons donc mis en place un système de recueil de la voix du client avec des mesures très robustes et commencé à partager les données, le début d’une culture client et data centric. A partir de là, il n'y avait plus de discussion possible parce les données étaient là.

Le premier travail a été de faire accepter ce qui doit être transformé à partir d'un diagnostic chiffré et incontestable !

Cela a pris environ un an, il y avait toujours des critiques sur la méthode, ou la taille des échantillons... et puis au bon d’un moment il y a eu acceptation du diagnostic. Une fois le diagnostic accepté, nous nous sommes mis progressivement d’accord sur le fait que cette transformation de la façon de travailler en partant de la voix du client allait prendre du temps et qu'on allait mesurer cette voix du client beaucoup plus précisément et faire en sorte que les gens l'utilisent.

Donc, on a mis en place tout un programme transversal autour de la voix du client.

Ça, c'était ma priorité quasiment pendant les deux premières années.
J'ai travaillé essentiellement là-dessus, ce qui a permis de montrer là où il fallait corriger des choses de façon globale, là où il fallait simplifier les process, digitaliser…

Ça m'a donné des raisons de dire pourquoi il fallait digitaliser ; c'est là où on revient sur pourquoi tu fais les choses !


❞ le fait d'être très explicite dans ce que je voulais faire a permis de retenir les personnesqui étaient compatibles culturellement ❞



Revenons à tes équipes, comment tu t’y es prise pour mettre
en place ce nouvel état d’esprit ?

Dans une transformation d'entreprise, tu peux faire table rase mais c'est une grosse prise de risque d'arriver de l'extérieur et de dire je renouvelle toute une équipe. En fait, je pense que tu as fondamentalement besoin de garder une partie des gens qui sont là et qui ont toute l’histoire et une bonne connaissance de l’entreprise.

J'ai été extrêmement transparente et claire dans mon agenda, les objectifs, le calendrier et ce que j'attendais des personnes avec qui je voulais travailler.

Il n'y avait pas de non-dit ; c'était très explicite !

Ceci m’a permis de retenir les personnes qui étaient compatibles culturellement et a incité les autres à partir de l’équipe pour prendre d’autres fonctions ailleurs dans le groupe.

Et après, j'ai introduit dans mon équipes trois nouvelles personnes porteuses de la culture digitale. J’ai investi beaucoup de temps pour qu’on construire une vision partagée de ce que nous voulions accomplir, nos priorités, comment nous allions prendre nos décisions, coopérer, etc... Nous avons pris le temps de regarder périodiquement avec lucidité ce qui fonctionnait, les changements à introduire…
Au bout d'un moment, c'est devenu une équipe et il n'y avait plus de différence entre les anciens et les nouveaux.

Et concrètement, comment tu as pu mesurer si les équipes suivaient ?

Assez rapidement, nous avons mis en place un sondage très court anonyme, avec trois, quatre questions avec de la place pour les verbatims. Au départ les questions visaient à évaluer si les équipes comprenaient, adhéraient à la mission de l’équipe, puis progressivement si elles faisaient le lien avec leur propre travail et ce dont elles avaient besoin pour le réaliser.

Nous avons maintenu cette pratique avec des sujets qui changent en fonction de l’actualité et de la vie de équipes. Elle s’est d’ailleurs généralisée dans le groupe.

Cette prise de température a été fondamentale pour mieux comprendre où les gens en étaient. En effet l’arrivée d’un nouveau manager ou l’annonce de transformation peut créer du stress voire de la peur chez certaines personnes et donc une difficulté pour certains de dire réellement ce qu’ils pensent, il n'y a pas forcément de liberté de parole. Permettre de s’exprimer anonymement va te permettre de comprendre où sont les gens, comment ils évoluent et surtout t’éviter de te tromper.

Parce que par exemple, tu peux te dire que tu as expliqué la stratégie, et que les équipes ont compris, mais si tu ne le vérifies pas, tu peux te fourvoyer complètement.

Donc, avoir ce retour qualitatif te permet de mettre l'énergie et les efforts au bon endroit, c'est fondamental. Et une fois de plus, cette approche est encore data-driven.


❞ il n'y a pas de transformation

sans sécurité ❞


Et cette fameuse peur du changement n’a pas généré trop de stress
pour tes équipes ?

Concernant le stress inévitable à une telle transformation, ma conviction était d’essayer d’en mettre le moins possible en étant le plus explicite possible. Une fois ce cadre posé, j’ai fait confiance aux gens sur leur capacité à changer.
 

J’ai aussi passé beaucoup de temps avec mes équipes pour expliquer ce que je souhaitais, leur donner des feedbacks précis quand ma demande n’avait pas été bien comprise, j’ai souligné les progrès tout en continuant de demander des évolutions
et en leur disant que j’avais confiance qu’ils allaient y arriver, cela a permis de créer
un climat de sécurité suffisant pour que les personnes remettent en question leur manière de travailler.

Je pense qu'il n'y a pas de transformation sans sécurité. Cela peut paraître bizarre car souvent, on dit qu'il faut faire créer un choc dans l'organisation, mettre les gens sous stress. La manière dont gérer la transformation dépend aussi de la situation et de l’enjeu
et la perspective temporelle de la transformation :  si l’enjeu est d’éviter un dépôt de bilan dans 6 mois c’est évidemment très différent d’adapter sur plusieurs années un business model pour qu’il continue de bien fonctionner.  

Quand on a un peu de temps devant soi et qu’on attend des personnes qui sont déjà là de nouveaux comportements, la sécurité est essentielle : si on met les gens sous trop de stress, les gens reviennent à ce qui est familier, connu, rassurant, dans une attitude de protection qui est tout à fait normale puisque notre cerveau est programmé avant tout pour survivre.

Et, ce n'est pas du tout l'attitude dont on a besoin pour une transformation où il faut se remettre en question, apprendre des nouvelles choses.





 

 




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